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Les Petits Potins de L'Histoire

Les Petits Potins de L'Histoire

Bienvenue sur "Petits Potins de L'Histoire" J'espère que vous prendrez plaisir à me lire .... N'hésitez surtout pas à me proposer des idées ou de créer vous même un article, je mettrai en ligne avec plaisir...


La vieille Chéchette - Louise Michel

Publié par Kitty sur 27 Décembre 2007, 18:25pm

Catégories : #Contes et Légendes

 

Il y a des êtres tellement disgraciés de la nature, tellement

étranges à voir ou à entendre, que leur seul aspect est un sujet

de tristes études pour les uns, de folles moqueries pour les

autres.

Plusieurs de ces êtres-là n’ont pas toujours été ainsi : les

uns ont eu quelque accident au moral ou au physique, les

autres, à force de se laisser mollement aller à la fatigue ou à

la paresse, sont descendus de quelques degrés et, sur cette

pente-là, il n’y a plus de raison pour qu’on s’arrête.

D’autres encore (ce qui est affreux pour l’humanité) sont

devenus ainsi sous la pression des persécutions. – Ce n’est

pas le plus grand nombre qui ont été frappés dès leur

naissance.

Chéchette était une pauvre femme qu’on avait toujours

vue vieille et toujours vue folle. Deux mauvaises

recommandations pour les petits mauvais sujets, qui sont loin

de respecter l’un et l’autre.

La maison de Chéchette, c’était le bois; son magasin,

c’était le bois; le nid de son enfance, l’asile de sa vieillesse,

c’était toujours le bois.

D’où venait-elle? personne n’en savait rien, ni elle non

plus. La première fois qu’on l’avait vue, déjà vieille, elle

sortait d’un autre bois où sa mère l’avait élevée et venait de

mourir.

Chéchette aimait sa mère à sa manière. Elle s’en alla dans

un autre village et s’y établit au milieu de la forêt.

Contes et légendes

 


C’était une étrange créature, dernier rejeton sans doute de

quelque race nomade.

Tant que l’été durait, elle se nourrissait de fruits sauvages;

et, pendant l’hiver, elle avait son magasin, où étaient entassés

les baies rouges des sorbiers, les faines huileuses, les glands,

toutes les richesses de la forêt.

Parfois les écureuils, les sangliers, les rats visitaient son

magasin : car le rocher qui lui servait d’abri était couvert

largement... Si, à son retour de quelque promenade lointaine,

elle ne trouvait plus rien, Chéchette recommençait ses

provisions. Quand l’accident arrivait en hiver, elle allait

jusqu’au village et demandait du pain.

Les uns avaient pitié de la pauvre folle et remplissaient

largement le haillon qui lui servait de tablier ou lui donnaient

d’autres vêtements; à ceux-là, elle souhaitait, dans sa langue,

une infinité de belles choses.

Les autres se moquaient d’elle. Alors Chéchette faisait

entendre un grognement fort expressif; c’était sa manière

peut-être de souhaiter le mal.

La nourriture qu’on lui donnait, un peu moins grossière

que la sienne, lui semblait une suite de festins tant qu’elle

durait. Quelquefois, en ayant pris beaucoup pour commencer,

elle s’endormait pendant longtemps, à la manière des

serpents et des lézards.

La forme des vêtements lui était indifférente, d’homme ou

de femme, peu lui importait; mais elle aimait beaucoup les

garnitures, surtout quand il y avait des choses qui brillent.

Les enfants méchants lui offraient parfois des vêtements

ornés de grelots et d’autres choses ridicules; mais, s’ils

avaient le malheur de rire, Chéchette leur jetait leur présent à

la figure; souvent même elle devinait leur mauvaise intention

sans qu’ils eussent besoin de rire, car elle avait l’instinct fort

développé.

Ceux qui ont vu les statuettes grimaçantes du moyen âge

peuvent se faire une idée de Chéchette.

Elle était horriblement boiteuse et tellement borgne que

son oeil gauche avait presque disparu.

Sa bouche, largement ouverte, laissait passer toutes les

dents à la manière de l’orang-outang – ou du gorille.

Ses mains, énormes, noueuses et velues, ses larges pieds,

l’épaisse crinière de cheveux roux qui descendait presque

jusqu’à ses sourcils, tout en elle rappelait les plus vilains

gnomes, les plus hideux singes.

Cet être-là s’attachait, elle aimait comme un chien; il est

vrai qu’elle eût mordu de même.

Elle ne revenait jamais de ses sympathies ni de ses

antipathies.

Quant aux animaux sauvages, ils n’avaient jamais attaqué

Chéchette, la prenant sans doute pour un membre de leur

famille.

La personne à laquelle elle avait jusque-là témoigné le

plus d’affection était une pauvre veuve, mère de trois petits

enfants.

Lorsque Madeleine Germain allait ramasser du bois mort,

Chéchette se trouvait toujours là pour l’aider à faire ses

fagots, ou plutôt pour lui en faire d’énormes, qu’elle portait

jusqu’à sa maison avec une aisance incroyable.

Le bois était son domaine; elle y avait tout à fait un autre

air qu’au village. 

Là Chéchette semblait plutôt un être

surnaturel qu’un être grotesque.

Les méchants du village plaisantaient beaucoup

Madeleine sur cette amitié; ils riaient surtout lorsqu’elle

laissait l’horrible vieille bercer dans ses longs bras les petits

enfants, qui jouaient avec elle comme avec un chien fidèle.

Ceux-ci n’en riaient pas moins joyeusement et Madeleine

s’inquiétait fort peu des mauvais plaisants.

Une nuit d’été, que tout le monde dormait profondément,

après les fatigues d’une chaude journée employée à travailler

dans les champs, on entendit retentir le seul cri qui fait lever

tout le monde à la campagne : Au feu! au feu!

Pourquoi tous les autres périls qui peuvent atteindre leurs

semblables laissent-ils insensibles les habitants des

campagnes?

Ce serait horrible de croire que c’est un sentiment

d’égoïsme, parce que dans l’incendie chacun craint pour sa

propre demeure. Toujours est-il que, souvent, des

malheureux ont crié à l’aide pendant longtemps et sont morts

sans secours.

Cette nuit-là, comme on criait au feu, tout le monde fut

immédiatement debout.

La maison de Madeleine brûlait comme un flambeau; –

l’un de ses enfants avait, en jouant, allumé un petit feu près

d’une porte, et, pendant la nuit, la pauvre cabane de bois et de

chaume avait flambé.

On eut beau faire la chaîne pour entretenir les pompes, le

feu ne se ralentit pas.

Madeleine tenait dans ses bras deux de ses enfants et

luttait, en désespérée, contre ceux qui voulaient l’empêcher

d’aller chercher le troisième au milieu des flammes.

On le croyait perdu.

Tout à coup on vit quelqu’un entrer résolument au milieu

des flammes; c’était Chéchette. Elle avait vu qu’un des

enfants manquait. Les charpentes calcinées croulaient avec

fracas, la flamme tournoyait superbe et triomphante, dardant

ses mille langues vers le ciel.

Quelques instants s’écoulèrent. Chéchette reparut, elle

tenait l’enfant dans ses bras et le déposa évanoui devant sa

mère.

Elle était belle ainsi, la pauvre folle, dans cet acte de

dévouement qui allait lui coûter la vie.

Ses cheveux, son visage, tout son corps étaient couverts

de larges brûlures; son oeil brillait d’une joie infinie.

Chéchette, épuisée, tomba pour ne plus se relever. Quant

à l’enfant, il revint facilement de son évanouissement, car

elle l’avait couvert de ses haillons et de son corps pour le

garantir.


Aujourd’hui encore, Madeleine et ses enfants vont

souvent porter au cimetière, sur l’herbe qui recouvre la

pauvre folle, des fleurs des bois qu’elle aimait tant.

Ne vous moquez jamais des fous ni des vieillards.

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