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Les Petits Potins de L'Histoire

Les Petits Potins de L'Histoire

Bienvenue sur "Petits Potins de L'Histoire" J'espère que vous prendrez plaisir à me lire .... N'hésitez surtout pas à me proposer des idées ou de créer vous même un article, je mettrai en ligne avec plaisir...


Marquis de Sade - Justine ou les malheurs de la vertu (12 eme épisode)

Publié par Marquis de Sade sur 19 Mai 2007, 09:30am

Catégories : #Le Marquis de Sade - Justine

Le procès d'une malheureuse qui n'a ni crédit, ni protection, est promptement fait dans un pays où l'on croit la vertu incompatible avec la misère, où l'infortune est une preuve complète contre l'accusé ; là, une injuste prévention fait croire que celui qui a dû commettre le crime l'a commis ; les sentiments se mesurent à l'état où l'on trouve le coupable ; et sitôt que l'or ou des titres n'établissent pas son innocence, l'impossibilité qu'il puisse être innocent devient alors démontrée.


J'eus beau me défendre, j'eus beau fournir les meilleurs moyens à l'avocat de forme qu'on me donna pour un instant, mon maître m'accusait, le diamant s'était trouvé dans ma chambre ; il était clair que je l'avais volé. Lorsque je voulus citer le trait horrible de M. du Harpin, et prouver que le malheur qui m'arrivait n'était que le fruit de sa vengeance et la suite de l'envie qu'il avait de se défaire d'une créature qui, tenant son secret, devenait maîtresse de lui, on traita ces plaintes de récrimination, on me dit que M. du Harpin était connu depuis vingt ans pour un homme intègre, incapable d'une telle horreur. Je fus transférée à la Conciergerie, où je me vis au moment d'aller payer de mes jours le refus de participer à un crime ; je périssais ; un nouveau délit pouvait seul me sauver : la providence voulut que le crime servit au moins une fois d'égide à la vertu, qu'il la préservât de l'abîme où l'allait engloutir l'imbécillité des juges.


J'avais près de moi une femme d'environ quarante ans, aussi célèbre par sa beauté que par l'espèce et la multiplicité de ses forfaits ; on la nommait Dubois, et elle était, ainsi que la malheureuse Thérèse, à la veille de, subir un jugement de mort : le genre seul embarrassait les juges. S'étant rendue coupable de tous les crimes imaginables, on se trouvait presque obligé ou à inventer pour elle un supplice nouveau, ou à lui en faire subir un dont nous exempte notre sexe. J'avais inspiré une sorte d'intérêt à cette femme, intérêt criminel, sans doute, puisque la base en était, comme je le sus depuis, l'extrême désir de faire une prosélyte de moi.



Un soir, deux jours peut-être tout au plus avant celui où nous devions perdre l'une et l'autre la vie, la Dubois me dit de ne me point coucher, et de me tenir avec elle sans affectation le plus près possible des portes de la prison.

- Entre sept et huit heures, poursuivit-elle, le feu prendra à la Conciergerie, c'est l'ouvrage de mes soins ; beaucoup de gens seront brûlés sans doute, peu importe, Thérèse, osa me dire cette scélérate ; le sort des autres doit être toujours nul dès qu'il s'agit de notre bien-être ; ce qu'il y a de sûr, c'est que nous nous sauverons ; quatre hommes, mes complices et mes amis, se joindront à nous, et je réponds de ta liberté.


Je vous l'ai dit, madame, la main du ciel qui venait de punir l'innocence dans moi, servit le crime dans ma protectrice ; le feu prit, l'incendie fut horrible, il y eut vingt et une personnes de brûlées, mais nous nous sauvâmes. Dès le même jour nous gagnâmes la chaumière d'un braconnier de la forêt de Bondy, intime ami de notre bande.

- Te voilà libre, Thérèse, me dit alors la Dubois, tu peux maintenant choisir tel genre de vie qu'il te plaira, mais si j'ai un conseil à te donner, c'est de renoncer à des pratiques de vertu qui, comme tu vois, ne t'ont jamais réussi ; une délicatesse déplacée t'a conduite aux pieds de l'échafaud, un crime affreux m'en sauve ; regarde à quoi les bonnes actions servent dans le monde, et si c'est bien la peine de s'immoler pour elles ! Tu es jeune et jolie, Thérèse : en deux ans je me charge de ta fortune ; mais n'imagine pas que je te conduise à son temple par les sentiers de la vertu : il faut, quand on veut faire son chemin, chère fille, entreprendre plus d'un métier et servir à plus d'une intrigue ; décide-toi donc, nous n'avons point de sûreté dans cette chaumière, il faut que nous en partions dans peu d'heures.

- Oh ! madame, dis-je à ma bienfaitrice, je vous ai de grandes obligations, je suis loin de vouloir m'y soustraire ; vous m'avez sauvé la vie ; il est affreux pour moi que ce soit par un crime ; croyez que s'il me l'eût fallu commettre, j'eusse préféré mille morts à la douleur d'y participer ; je sens tous les dangers que j'ai courus pour m'être abandonnée aux sentiments honnêtes qui resteront toujours dans mon cœur ; mais quelles que soient, madame, les épines de la vertu, je les préférerai sans cesse aux dangereuses faveurs qui accompagnent le crime. Il est en moi des principes de religion qui, grâces au ciel, ne me quitteront jamais ; si la providence me rend pénible la carrière de la vie, c'est pour m'en dédommager dans un monde meilleur. Cet espoir me console, il adoucit mes chagrins, il apaise mes plaintes, il me fortifie dans la détresse, et me fait braver tous les maux qu'il plaira à Dieu de m'envoyer. Cette joie s'éteindrait aussitôt dans mon âme si je venais à la souiller par des crimes, et avec la crainte des châtiments de ce monde, j'aurais le douloureux aspect des supplices de l'autre, qui ne me laisserait pas un instant dans la tranquillité que je désire.

- Voilà des systèmes absurdes qui te conduiront bientôt à l'hôpital, ma fille, dit la Dubois en fronçant le sourcil ; crois-moi, laisse là la justice de Dieu, ses châtiments ou ses récompenses à venir ; toutes ces platitudes-là ne sont bonnes qu'à nous faire mourir de faim. Ô Thérèse ! la dureté des riches légitime la mauvaise conduite des pauvres ; que leur bourse s'ouvre à nos besoins, que l'humanité règne dans leur cœur, et les vertus pourront s'établir dans le nôtre ; mais tant que notre infortune, notre patience à la supporter, notre bonne foi, notre asservissement, ne serviront qu'à doubler nos fers, nos crimes deviendront leur ouvrage, et nous serions bien dupes de nous les refuser quand ils peuvent amoindrir le joug dont leur cruauté nous surcharge. La nature nous a fait naître tous égaux, Thérèse ; si le sort se plaît à déranger ce premier plan des lois générales, c'est à nous d'en corriger les caprices et de réparer, par notre adresse, les usurpations du plus fort. J'aime à les entendre, ces gens riches, ces gens titrés, ces magistrats, ces prêtres, j'aime à les voir nous prêcher la vertu ! Il est bien difficile de se garantir du vol quand on a trois fois plus qu'il ne faut pour vivre ; bien malaisé de ne jamais concevoir le meurtre, quand on n'est entouré que d'adulateurs ou d'esclaves dont nos volontés sont les lois ; bien pénible, en vérité, d'être tempérant et sobre, quand on est à chaque heure entouré des mets les plus succulents ; ils ont bien du mal à être sincères, quand il ne se présente pour eux aucun intérêt de mentir !... Mais nous, Thérèse, nous que cette providence barbare, dont tu as la folie de faire ton idole, a condamnés à ramper dans l'humiliation comme le serpent dans l'herbe ; nous qu'on ne voit qu'avec dédain, parce que nous sommes pauvres ; qu'on tyrannise, parce que nous sommes faibles ; nous, dont les lèvres ne sont abreuvées que de fiel, et dont les pas ne pressent que des ronces, tu veux que nous nous défendions du crime quand sa main seule nous ouvre la porte de la vie, nous y maintient, nous y conserve, et nous empêche de la perdre ! Tu veux que perpétuellement soumis et dégradés, pendant que cette classe qui nous maîtrise a pour elle toutes les faveurs de la Fortune, nous ne nous réservions que la peine, l'abattement et la douleur, que le besoin et que les larmes, que les flétrissures et l'échafaud ! Non, non, Thérèse, non ; ou cette providence que tu révères n'est faite que pour nos mépris, ou ce ne sont point là ses volontés. Connais-la mieux, mon enfant, et convaincs-toi que dès qu'elle nous place dans une situation où le mal nous devient nécessaire, et qu'elle nous laisse en même temps la possibilité de l'exercer, c'est que ce mal sert à ses lois comme le bien, et qu'elle gagne autant à l'un qu'à l'autre ; l'état où elle nous a créés est l'égalité, celui qui le dérange n'est pas plus coupable que celui qui cherche à le rétablir ; tous deux agissent d'après les impulsions reçues, tous deux doivent les suivre et jouir.

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